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Petits fantasmes entre ennuis 

Petits, nous avons tous dis : un jour quand je serai grand je serai. rêve, fascination mais aussi moyen pour l'enfant de se projeter dans le monde de l'adulte, de s'émanciper l'instant d'un fantasme.

Mercedes a d'ailleurs réutilisé, le détournant de façon assez abjecte, ce principe dans une publicité : une maîtresse demande à l'ensemble de la classe ce que les enfants souhaiteraient faire comme métier plus tard. Rêve d'un idéal, d'une situation, ou de métier dont l'aura chez l'enfant est intouchable (pompier, médecin), des souhaits bien communs somme toute. Un enfant près de la fenêtre, on l'imagine au pied du radiateur, est captivé, fasciné par la grosse belle voiture (évidemment Mercedes) qu'il peut voir en bas de sa salle de classe. Plusieurs plans vont sur lui, il reste médusé, le regard toujours perdu vers l'objet. Vient son tour, le regard toujours éperdu, répond juste devenir grand.

Marketing stupide, fantasme de la marque qui va jusqu'à vouloir remplacer les rêves de devenir par des rêves de posséder ses produits. On aurait en voyant cette publicité bien envie de renvoyer ces gens dans cette même classe le moment d'un cours, histoire de leur faire réviser les notions d' être et avoir.

Ce n'est bien entendu pas à proprement parler cette publicité qui a déclenché ce travail, mais tous ces petits spots prétentieux, mal attentionnés, qui jouent sur les franges du politiquement incorrect. Tous ces films qui nous font dans un premier temps détester la pub et ses produits, et qui dans un deuxième nous enlèvent notre naïveté (si tant est qu'elle existe encore) en nous donnant les armes pour mieux les décortiquer. Savoir qui cible t-elle et comment ? quel ton elle emploie et pourquoi ?

Ce travail traite toujours sur le fond du rapport entre emploi (travail) et temps libéré ou plus largement entre emploi et insertion dans la société (accession à la propriété, tissu associatif, etc.). Dans ce cas, il s'agit d'insertion par l'acte et par le fantasme que suscite la consommation. Fantasme que nourrit la publicité et qui permet à bon nombre d'employés d'accepter de faire leurs taches salariales dans le but d'accéder aux biens de consommation tant rêvés.

Car si la première phase de l'insertion dans la société est celle de l'emploi (et plus particulièrement de l'emploi à durée indéterminé), la deuxième est sans aucun doute l'acte de consommer. Une hiérarchie de moins en moins vraie tant l'acte de consommer continue à prendre de plus en plus d'importance (pour cette marque de voiture citée plus haut elle est tout simplement inversée). Pour bon nombre de personnes, l'emploi n'est pas le moyen de s'épanouir dans un travail enrichissant, ni le moyen d'accéder à la propriété (La vie de château), ou même le moyen de développer et de vivre un loisir ( La R.T.T vous va si bien). Il est avant tout le moyen de consommer, de posséder ce que les entreprises, par l'intermédiaire des médias, nous présentent comme L'indispensable ou Le plus à la mode, ce qu'il faut avoir pour véritablement s'inscrire dans notre société et être en phase avec elle. Ce sont ces rapports entre emploi et consommation (par l'intermédiaire de la publicité) que j'ai voulu utiliser dans ces vidéos. Parler de cette consommation rêvée qui peut être tout autant motrice qu'aliénante pour un emploi faiblement qualifié.

L'ennui du salarié lors de l'exécution d'une tâche ou de sa répétition est un temps idéal pour la rêverie. Le corps par mémoire commande l'action, l'esprit lui se met en veille. Il ne réapparaît pour l'exécution de la tache que par moment, pour une action particulière, un peu spécifique. La pensée s'égare sur l'objet tant convoité, l'objet rêvé. Des rêves prédigérés, formatés par les agences de communication. Chaque situation a son rêve, chaque humeur a son reflet. Le produit qui est temporairement désiré par le salarié (jusqu'à ce qu'il le possède) est toujours présent de façon lancinante, comme une justification à l'exécution de cette tâche.

C'est en tout cas l'enjeu que j'ai voulu mettre en oeuvre dans ces vidéos.

Ce projet a justement été travaillé en vidéo pour utiliser ces notions de langueurs et d'ennuis confrontées à la plénitude et aux dynamismes véhiculés par les spots publicitaires. Cette technique sert aussi à mettre en tension la puissance des slogans, aux sons des espaces de travail. Confronter, opposer ou mettre en relation des plans, des images, des sons ; principes qui n'auraient pu être possible en photographie. Pour autant cette série maintient les procédés de construction formelle déjà engagés dans les séries sur le travail ( La vie de château et La R.T.T vous va si bien), car même s'il s'agit d'images en mouvement et non d'images fixes, le principe d'images dans l'image, avec ici l'inclusion de plans publicitaires dans un plan séquence, est conservé ; principe permettant un dialogue complètement décalé. Les séquences fantasmagoriques liées à des situations de rêves et de plaisirs véhiculés par la publicité viennent, comme des flashs entrecouper de longs plans séquences du salarié pris dans son activité ; le fantasme cassant la monotonie et l'ennui de la tâche.

Quant au ton général de ces vidéos, il est volontairement léger ; ces fantasmes ne sont-ils pas après tout l'élément essentiel qui permet au salarié de tenir le coup pendant la durée de son emploi ?

Serge Lhermitte (2002)