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Sous les petits pains... la plage

Dans la peau d'un commandé, chronologie...

24/04 - 10h52 : Le FRAC Bretagne me contacte, par mail, pour une commande organisée par le groupe Norac, dans le cadre de la Biennale de Rennes.
C'est Alain Bernardini qui a soufflé mon nom, ça ne m'étonne pas vraiment : on se connaît bien, on s'aime bien et on essaye, depuis quelques temps, de travailler ensemble ; mais l'occasion qui ferait de nous des larrons n'a pas été encore trouvée...

25/04 - 15h32: Je suis sur le quai gare de l'est, j'ai 10 minutes avant le départ du TGV... j'ai lu les documents envoyés par le FRAC. Le principe de travail me va plutôt bien, mais quelques éléments me chiffonnent... les délais : très courts, mais aussi un projet très, voir trop ficelé : l'objet est déjà imaginé par les salariés avant la présence de l'artiste... Je ne vois pas ma marge de manoeuvre.
J'appelle le FRAC et nous conversons... bien au-delà des 10 minutes... La plaine champenoise aura raison de notre communication, mais l'essentiel est dit et j'ai globalement tous les éléments pour prendre ma décision : participera - participera pas.

29/04 - 11h51: participera bien sûr, trop d'éléments m'intéressent dans cette proposition.
La question du travail que je traite (ou maltraite) depuis 1999 et qui est devenu l'axe majeur de ma production aujourd'hui.
Un nouvel accès dans l'univers industriel, dans ce monde que je connais mal ; ma référence, mon milieu d'origine étant le secteur tertiaire... Oui, bien sûr, je viens de finir plus d'un an de résidence, dans le bassin industriel de Saint-Nazaire, mais j'ai l'impression de n'avoir fait qu'effleurer ce monde... et le potentiel de création de ce secteur me semble aussi vaste que ses champs d'activités.
Et puis, il y a cette question, qui régulièrement me taraude : comment par l'image, faire ouvre dans l'espace public ? Comment une image, traitant d'un sujet social ou politique, peut avoir un statut d'ouvre publique ? Une commande photographique, ne peut-elle que finir dans un livre ? La (més)aventure d'Alain Bernardini, et oui encore lui, à l'hôpital Paul Brousse est-elle une fatalité, une occurrence, une exception ? Bref, je m'incline, résolument, pour le participera... faudra juste tordre le temps... J'envoie le mail de confirmation.

15/05 - 14h00 : 5h00 de moto : j'ai le cheveu plat et l'oreille qui bourdonne. Mais l'accueil est sympathique et jovial. Je suis là deux jours, et l'équipe me donne le temps qu'elle peut entre les différentes équipes de 3/8, les phases de récupérations et les phases d'activités. Deux demie-journées, pour faire connaissance, comprendre le lieu, discuter du projet, remettre à plat le sujet.
Certains points du cahier des charges, rédigés par l'équipe, sont la clef de voûte de ce projet, et je les prends comme telle. Mais l'idée de construire en composite, de portraits du personnel, le logo de la boulangère, ne me convient pas : on est à la fois loin d'un regard photographique, loin de la thématique de cette biennale et dans un objet trop proche d'une sémantique de communication ou de publicité. Je souhaite que l'on revoit ensemble l'objet final, tout en gardant comme fondation du projet : l'utilisation du médium photographique, la volonté d'avoir un travail participatif et que les membres du groupe soient les principaux photographes du projet.
Je m'appuie sur mon travail mais aussi sur certains travaux photographiques, pour relancer de nouvelles idées, de nouvelles envies : R. Rhodes, E. Wurms, D. Darzacq, les Blume, . et si ceux-là ne traitent pas beaucoup de la sphère du travail, une courte analyse d'un extrait de Playtime, me permet de montrer qu'il y a, dans cette direction, une part de vérité... Suspicion, désappointement, engouement... À la fin de ces deux jours, des outils de travail sont mis en place, et différentes pistes sont abordées. Les contours du projet se précisent, même si l'objet reste dans la brume.

29/05 - 16h00 : 4h30 de moto, je ne me suis pas trompé de bifurcation cette fois-ci, mais ça ne change rien à l'état de mes cheveux... On est en jour férié, mais l'usine tourne... nous aussi donc.
Je devais initialement rester deux jours, j'y resterai trois à cheval sur un week-end. Les choses se décantent, j'appréhende mieux l'espace et Sébastien, le coordinateur de l'équipe, joue merveilleusement le jeu et possède un regard photographique particulièrement efficace.
Toute l'usine ou pour être plus précis toutes les lignes ne sont pas connues de tous, ce qui fut certainement un avantage pour chercher le décalage, inventer des situations anachroniques en utilisant les infrastructures telles qu'elles sont. Car assez vite, il nous est apparu évident que certaines règles devaient être fixées : ne rien changer, ne rien apporter (les règles d'hygiène sont d'ailleurs trop contraignantes), ne rien monter numériquement (délais trop courts) en font partie. Mettre en scène, utiliser l'espace, les objets, créer des décalages entre un modèle (toujours un salarié) et le reste du personnel en activité, étaient celles qui devaient au contraire nous animer.
Les deux séries d'images se sont déterminées toutes seules, à force de décrypter les lieux, de chercher les failles dans l'organisation de l'espace du travail. Il nous est apparu évident qu'il fallait utiliser les espaces morts, les interstices inexploités, les endroits laissés pour compte de la rationalisation de l'espace, pour y introduire une forme de poésie... d'ouvrier décalé... Seul sur le Sable et La Piscine sont les deux images qui serviront de maître étalon de notre production.
Bizarrement si Playtime, nous a vraiment servi dans le principe de la lecture et de l'interprétation des espaces de travail, les images se sont construites naturellement avec un Mr Hulot à la plage... en vacances peut être ?

24/06 - 15h52: J'ai mis moins de temps que les fois précédentes, faute certainement au beau temps qui m'a rendu un peu trop insouciant... sur la poignée de gaz... Ces dernières semaines l'équipe a avancé de son coté, et pour ma part je suis rentré dans la phase qui m'était initialement dévolue dans le cahier des charges : la mise en espace de la commande. J'ai gardé les mêmes interrogations qu'aux prémices de l'aventure. Comment présenter l'image, dans quel but, pour qui ? J'ai repris mes notes... et le cahier des charges. Le projet est fait par les salariés et dans un processus qui se veut le plus participatif possible : ce sont ces deux paramètres qui vont me servir de fil rouge pour la conception de cette réalisation.
Lors de mes premiers repérages je fus, comme beaucoup, impressionné par la longueur et les proportions du couloir longeant les chaînes de production. Une nécessité technique qui là encore construit un espace particulier. À la fois démesurément long, ce couloir est malgré tout parfaitement proportionné dans sa hauteur et sa largeur. A la fois impressionnant et rassurant, il devient par sa longueur un sas, un véritable lieu de transition entre les vestiaires et le poste de travail. Par ailleurs, son importante surface vitrée offre la première, ou une dernière, possibilité de voir l'extérieur, le reste de la vacation se faisant, ou s'étant faite, dans le «white-cube» de l'entreprise ; là encore, nécessité technique obligeant... Il m'a semblé évident d'utiliser ce couloir, pas en intervenant à l'intérieur, mais en l'utilisant comme lieu de découverte de l'image.
Deuxième élément qui m'a conforté dans cet axe ; c'est la mauvaise, ou plutôt, la non utilisation du mur gauche du bâtiment administratif. Ce mur, précédent la salle de repos, fait partie du hall d'entrée du personnel. Vitré, transparent il est occulté par le dos des casiers du personnel. Visible du parking ou du grand couloir, il m'a semblé être le bon support à une image photographique.
L'image collée sur les parois vitrées aurait le «bon goût» de masquer l'intérieur du hall du personnel, tout en étant visible des salariés sortant du white-cube.
Si l'image, qui serait ainsi exposée, est issue d'une analyse de l'espace et des outils de production, elle n'en est pas moins contemplative. Ou en tout cas se veut comme telle. Elle ne se situe ni dans le registre du document, ni dans celui de la communication, elle n'est pas une forme de valorisation de l'entreprise ou de la valeur travail, elle se veut simplement une invitation à la rêverie. Un instant d'évasion, dans un flot de labeur.
C'est l'objectif de cette installation, redonner l'image faite par les salariés, avec les salariés aux salariés. Ne pas en faire une image promotionnelle, mais un élément qui offre un ailleurs le temps d'un coup d'oeil, d'un regard par la fenêtre.
Se pose alors la question du choix de l'image, car le travail s'est construit sous la forme de petites séries. Pourquoi une image plus qu'une autre ?
Il me semble qu'à ce stade, nous pouvons réintroduire cette notion de participatif, présent dans le cahier des charges. C'est l'idée du petit livre, d'une vingtaine de pages qui serait offert aux salariés, afin qu'ils puissent prendre connaissance des images, se les approprier et ainsi donner leurs préférences.
Car c'est l'avantage d'un projet photographique de ne pas limiter l'ouvre à une seule image, mais bien à l'ensemble de la série. On peut vite se lasser d'une image, habitué dans nos vies à les voir défiler, mais on peut aussi depuis leur «reproductibilité technique», les supprimer, les changer, les faire tourner. Avantage de l'inconvénient, il y a là un protocole à mettre en place, en concertation avec le commanditaire. Les bâtiments étant nettoyés tous les ans, le changement d'image pourrait s'adosser à cette régularité.

16/09 - 15h55: J'arrive 5 minutes avant le départ pour les Herbiers, où nous présentons le projet au DG, ainsi qu'au fondateur de la Boulangère... le projet a été validé, il se fera donc...
C'était mon dernier voyage avant la parution du livre. Un trajet agréable sous le soleil du mois de septembre, si ce n'est cet air que j'ai eu dans la tête tout le voyage... vous savez ces associations d'idées... septembre, le soleil, le voyage... on ira où tu voudras... quand tu voudras... Oui cet air là... j'ai eu beau le chanter à tue tête dans le casque, rien n'y a fait, je l'avais encore en arrivant à Mortagne...
Cette réunion est l'occasion d'un ultime travail avec Sébastien... Dernières images, derniers réglages et je repars le disque dur plein, assuré de vous offrir un regard différent sur votre univers de travail...

grand merci à l'équipe Spirit Photo, particulièrement à Sébastien, Kensa et David pour leur investissement et à vous, l'ensemble des salariés, pour votre accueil et votre bonne humeur.

Serge Lhermitte (2014)